Pour une allocation universelle patriote, ou Revenu Minimum de Dignité
Pour l’instauration d’une allocation universelle: raisons socio-économiques, objectif social, et modes de financement envisagés
Bruno Lemaire, club Idées Nation.
Synthèse :
Nous
proposons ici l’instauration d’une allocation universelle nationale, ou RMD
(Revenu Minimum de dignité) de l’ordre de 655
euros mensuels pour un adulte, de la moitié – en moyenne - pour un enfant
qui viendrait en remplacement de l’essentiel des prestations sociales
actuelles, en dehors de celles liées à la retraite et à la maladie.
Le
financement net nécessaire serait de l’ordre (maximum) de 60 milliards annuels, (à partir de 363 milliards bruts mensuels), obtenu
soit par un impôt spécifique, soit par l’utilisation d’une monnaie ad hoc, qui pourrait
aussi être orientée « consommation ‘made in France’ ».
Les
655 euros du RMD mensuel correspondent à 25%
du PIB français, ramené à son nombre d’habitants ou à 20% du PIB par équivalent adulte.
La
distribution de ce revenu, sous la houlette de la Banque de France, pourrait se
faire par divers canaux, celui de la poste étant le plus simple, ou par le
biais d’une « carte tricolore », abondée chaque mois.
Objectifs attendus : pauvreté voire
misère des travailleurs pauvres éradiquée en 2 ans, chômage réduit d’un million
en 3 ans, relance d’une production nationale.
Liminaires :
Pour l’instauration d’un Revenu Minimum de Dignité, ou
Dividende Universel, ou Revenu d'Appartenance
Communautaire …
1) Plutôt que
de tenter de synthétiser différents billets, dont certains remontent à une
vingtaine d’années, je vais ici préciser les points qui me paraissent les plus
importants en vue d’une éventuelle application au cours d’un prochain
quinquennat ou d’une nouvelle législature.
2) Par
ailleurs, pour parler de ce concept, j’utiliserais, pour simplifier, l’acronyme
RMD, (Revenu Minimum de Dignité) quelle que soit la dénomination
qui en sera finalement retenue lors de l’instauration de cette
« allocation universelle nationale ».
3) Enfin, je ne
chercherais nullement à déterminer ici la véritable paternité de ce concept,
qui remonte sans doute encore plus loin que ce qu’en ont dit des "créditistes"
ou des « distributistes » du siècle passé, comme Douglas, Dubouin ou
Louis Even. Qu’il suffise ici de dire que depuis le début du XXIème siècle,
plusieurs hommes ou femmes politiques – l’un des derniers en date étant D. de
Villepin avec son Revenu Citoyen lors de sa pré-campagne présidentielle de 2011
- ont émis des idées ou des propositions allant dans ce sens, avec cependant de
très nombreuses variantes qu’il n’est pas le lieu d’examiner ici. Reprenons
simplement à ce sujet le jugement fait par tous ceux qui, de bonne foi, se sont
penchés sur la question et que l’on peut résumer par la phrase suivante :
« le revenu de base […] n'est ni une
idée de gauche, ni une idée de droite, mais bien un concept apartisan dont
les débats ont au moins l'avantage de nous faire remettre en cause la fameuse
valeur travail » (cf rapport devant Senat) S’il en fallait donner une preuve supplémentaire, rappelons que deux pays
européens assez dissemblables envisagent d’expérimenter une des variantes
possibles de ce RMD ou de ce Revenu de Base, la Finlande et … la Suisse.
Un triple constat pour la France :
Un chômage endémique, un pouvoir d’achat en berne, une misère
grandissante, tristes symboles d’une économie en régression constante, sinon
dans l’absolu, au moins relativement, avec son cortège de faillites, de
suicides, accompagnant une société qui se délite, dans laquelle moins de 1% de
la population se répartit plus de 80% des richesses nationales, tandis que des
millions de travailleurs pauvres se demandent comment ils finiront le mois dès
le 15 ou le 20 de chaque mois.
Le système de protection sociale est pourtant souvent
considéré comme l’un des plus généreux au monde. Rappelons ainsi qu’en 2013
(derniers chiffres consolidés dont nous disposons actuellement) 715 milliards ont été consacrés aux dépenses
de protection sociale, soit plus du 1/3
du PIB français.
Ramené à la population de l’époque (64,5 millions) cela
correspondait à une dépense annuelle voisine de 11 085 € par habitant. Nous
suggérons cependant qu’il vaudrait mieux parler d’équivalents adultes pour la
population, en prenant pour équivalent d’un adulte deux enfants (de moins de 18
ans) ce qui ramerait la population « en équivalent adultes » à 10
millions de moins (car 20 millions de moins de 18 ans). Les dépenses de
protection sociale ramenées au nombre d’équivalents-adultes serait alors 13 120 €
par « eq. adulte », soit 1093 €
mensuels. Ce simple chiffre, que l’on pourrait aussi rapprocher du minimum
vieillesse, montre que cette « protection sociale » semble assez mal
répartie.
L’objectif : assurer à chacun un pouvoir d’achat minimum.
Peut-on assurer un revenu régulier, même très
modeste, à des millions de personnes, ce qui permettrait de réduire leur peur
devant l’avenir, et parfois même devant le présent ? Sans pour cela que la
charge de ces revenus ne repose sur les entreprises, qui n’ont pas cette
mission, ni sur l’État, par le subterfuge de créer des emplois fictifs qui ne
correspondraient pas aux besoins, individuels ou collectifs de la communauté
dont il a la charge.
En d’autres termes,
est-il possible d’assurer un certain
niveau de demande solvable, un certain pouvoir d’achat, sans bouleverser de
fond en comble les conditions d’offre d’une économie moderne ?
A. Le principe : celui de non exclusion de la communauté nationale.
Le principe
du R.M.D. est simple, et part du fait – peu discutable - que toute collectivité
est constituée d'individus, aux talents et aux compétences diverses, mais qui
partagent tous le même statut, celui d'appartenance à une même communauté :
d'où le principe de non-exclusion. Tout membre de cette collectivité doit être
reconnu en tant que tel, et avoir donc 'droit' à cette reconnaissance.
Ce droit, dans une économie essentiellement marchande dans
laquelle le travail est de plus en plus spécialisé, et où les individus sont de
plus en plus interdépendants, ne peut se concrétiser que par un revenu
'monétaire', nous y reviendrons.
Nous examinerons aussi si ce 'droit' doit être associé à des
devoirs.
B. La proposition : une part proportionnelle à la richesse produite.
Il s’agit de relier ce RMD – ou RAC pour ceux qui préfèreraient
insister sur l'appartenance communautaire – à la richesse collective de la
communauté, ou héritage collectif toujours en devenir. Le niveau du RMD ne peut donc être fixe, même si la quote-part, la
proportion du revenu global de la communauté considérée, l'est : ceci me paraît
être un point essentiel, que la plupart, sinon la totalité, des autres ersatz
d’allocation universelle ne mentionnent aucunement. De fait, une fois cette quote-part
fixée, si la richesse collective
augmente, le RMD augmentera, si la richesse collective diminue, il en sera de
même pour le RMD.
Remarque : je
laisse de côté ici la question de savoir comment évaluer cette richesse
collective, sachant que de nombreux arguments et critiques allant à l’encontre
du PIB en tant que mesure de cette
richesse collective sont en grande partie justifiés. Une des façons
d’évaluer cette richesse collective et son évolution pourrait se concrétiser
empiriquement par des études de satisfaction dans les différentes strates de la
population, si l’on juge que le PIB n’est pas suffisant. Evaluer le nombre de
personnes au travail parmi celles en âge de travailler peut aussi être un
complément intéressant. Nous nous contenterons cependant ici de prendre le PIB
et son évolution comme première approximation.
Ainsi, dans le cadre de la distribution concrète des
richesses collectives (dont la production a eu lieu dans un contexte économique
donné, en grande partie libéral et ‘marchand’) notre proposition consiste à
consacrer toujours la même part –
indépendamment de tout 'mérite marchand' – aux revenus correspondant à cette appartenance
communautaire.
Le fait que le niveau du RMD soit lié automatiquement à
l’évolution du PIB, censé représenter celle de la richesse collective, en plus
comme en moins, est fondamental comme je l’ai déjà écrit. De fait, cette
automaticité devrait contribuer de façon importante au renforcement du
sentiment d'appartenance à la collectivité, et sera donc un pilier de cette
solidarité collective. Il n'y a pas de 'passagers clandestins', tout le monde est dans le même bateau.
Si, pour une raison ou une autre, la quantité de travail diminue – à productivité constante – le revenu
diminuera pour tous, au moins pour la part RMD. Pour nos calculs, je suis parti
d’un PIB 2015 de 2155 milliards d’euros, et d’une population de 65,7 millions
d’habitants
Ramené à un autre indicateur, le PIB par habitant est donc
voisin de 32 650 euros annuels, ou, en considérant qu’un enfant est
l’équivalent (en pouvoir d’achat) d’un demi adulte, on trouve ainsi un PIB par
équivalent adulte (en divisant le PIB par 55 millions et non plus 65) :
PIB/eqA = 39 190 euros (soit 3265€ par mois)
C. Quel niveau pour ce RMD (en euros 2015)
Nous proposons que le cinquième de la richesse nationale de la
France, ou plus exactement le 1/5 du PIB moyen, soit environ 655 € par mois –
en euros « 2015 » - soit
affecté à chaque adulte de notre communauté. Chaque mois, 655 euros, nets
d'impôt, seront versés sur le compte de 65 millions de Français ! Ce montant
est légèrement supérieur à un demi SMIC, qui valait 1144 € en janvier 2016
Le Revenu Minimum de Dignité proposé ici est un Revenu
"Universel" que toucherait chacun de nos concitoyens, et qui se substituerait à la plupart des
revenus sociaux, en particulier le RMI, le RSA, les prestations familiales
et autres aides sociales.
Même si le choix du pourcentage (le 1/5 du PIB moyen pour
chaque adulte) peut apparaitre arbitraire
– cela peut faire partie d'une discussion collective, avant sa mise en
application – ce chiffre a été retenu pour trois raisons principales:
a) le niveau, une fois globalisé, est 'presque'
suffisant pour une famille 'type', deux parents et deux enfants (de 7 et 11 ans),
même si aucun des parents ne travaille, puisque le RMD familial serait ainsi de
1965 euros,
b) ce niveau n'est pas suffisamment dissuasif pour
qu'une trop grande proportion de personnes ne décide de ne plus travailler
(auquel cas, bien sûr, le niveau collectif, et donc le niveau individuel, diminuerait
d'autant).
c) un niveau trop bas – même si son financement en
aurait été facilité – n'aurait pas permis que la substitution du RMD à la plupart des allocations ou prestations
sociales soit intéressante pour les récipiendaires. De plus, son côté
'solidaire' ou 'fraternel' aurait été insuffisant. Il s'agit en effet de transformer
le sentiment d'assistance que peuvent ressentir certains 'bénéficiaires' des
allocations 'classiques' en sentiment
d'appartenance et de reconnaissance communautaire nationale.
D. De la faisabilité et de l'intérêt d'une telle mesure.
L'intérêt d'une telle mesure est évident pour tous ceux qui
vivent en dessous du seuil de pauvreté. Les 655 euros mensuels proposés ici
(deux adultes, qui toucheraient ainsi mensuellement 1310 euros, pourraient "s'offrir"
la maison à 15 euros journaliers envisagés en 2009 par C. Boutin) ne sont
certes pas la panacée.
Mais ce chiffre paraît à la fois possible (il correspond,
rappelons-le, au cinquième du PIB moyen Français de 2015) et suffisamment utile
pour sortir la majorité des exclus de leur misère.
E. Les personnes concernées.
Nous ne vivons plus dans un monde clos. Mais, pour le
moment, la notion de citoyenneté reste encore vivace, les débats récurrents sur
le concept de nationalité française, de droit du sol et de droit du sang sont
là pour l’illustrer, au moins au niveau de notre hexagone national.
Le Revenu Minimum de Dignité – ou Revenu d'Appartenance
Communautaire – proposé ici pourrait (devrait?) s’appliquer à tout être humain,
mais il me semble qu’il faudrait initialement considérer trois catégories différentes de personnes.
Il ne s’agit pas de hiérarchiser ces catégories, mais de déterminer
concrètement les façons d’instaurer efficacement ce Revenu Minimum de Dignité.
Je propose donc de différencier les nationaux français, les
nationaux européens, et tous les autres, mais en utilisant la même règle
d’attribution.
Chaque adulte, quel que soit son âge, son sexe, son ethnie,
sa religion, pourrait disposer – à très court terme – de l’équivalent mensuel,
net d’impôts, du ¼ du PIB unitaire de son propre pays. Cela correspondrait à 655€ net par mois pour un Français, un
peu plus pour un Allemand, beaucoup moins, hélas, pour un Ougandais.
Le principe de
solidarité serait ainsi un principe universel, le même partout, mais
dépendrait des possibilités de la communauté à laquelle on appartient.
Pour un européen résidant en France – dans le cadre de
l’U.E. si tant est que cette structure persiste en l’état à l’avenir - on
pourrait suggérer qu’il y ait une participation des Etats plus riches pour que
le revenu minimum de dignité distribué par la collectivité française soit
augmenté d’une participation de l’état européen concerné, à charge de
réciprocité, évidemment.
La France ne peut, à elle seule, assurer un Revenu Minimum
de Dignité à l’ensemble du monde. En revanche, elle peut le proposer au monde
entier, et a les moyens de le promulguer pour ses 65 millions de
ressortissants. Tout ceci demanderait sûrement à être aménagé, amendé, modifié,
mais voilà la première grande piste d’action, très concrète, et qui ne demande
"que" de la bonne volonté pour être rapidement appliqué.
F. La période de transition.
De nombreuses allocations aux personnes, et plus encore de
subventions aux associations, aux organismes, aux collectivités, aux
entreprises, ont pour objectif de venir en aide, directe ou indirecte, à une
multitude de cas particuliers. L’énergie humaine consommée à cet effet est
considérable, sans que l’efficacité de l’ensemble de ces mesures soit
réellement démontrée, sans même parler de son inéquité éventuelle et des
passe-droits y afférant. L’Etat s’occupe
déjà, directement ou indirectement, de prélever plus de 50% de la richesse
nationale, tout en redistribuant une
bonne part selon des critères fluctuants, souvent opaques et parfois,
hélas, soumis à des considérations électoralistes.
L’instauration du RMD ne concerne en fait que moins de la
moitié de ces « prélèvements ». Il s’agit, en effet, de demander à la
puissance publique de redistribuer
efficacement de l’ordre de 18 % du revenu national, ou plus exactement
du PIB. Si l'ensemble de la population (en équivalent adultes) est concerné,
cela signifie qu’il va falloir financer une enveloppe de 36.3 milliards mensuels (soit
70% des dépenses actuelles des différentes prestations sociales)
Puisque ces 36.3
milliards ne sont pas imposables, cela implique, si tout est financé par
des impôts, qu’il faudra lever une taxe (si c’est un impôt proportionnel - encore
appelé « flat tax ») de l’ordre de 25% (en moyenne) sur tout autre
revenu,
Bien entendu,
d’autres façons de financer le RMD pourront être envisagées, comme nous le
reverrons.
Ce RMD sera distribué ‘universellement’ – au moins à
l’intérieur d’une communauté donnée, ici dans le domaine de la communauté
française. Il ne sera donc plus nécessaire de mobiliser une armée d’experts et de conseillers fiscaux pour déterminer si
telle personne, compte tenu de N paramètres, a droit à telle ou telle
allocation. Chacun y aura droit de sa naissance à sa mort, en tant qu’être
humain appartenant à une communauté nationale bien déterminée.
G. Le RMD, une allocation universelle, mais différente pour un adulte et un enfant.
Le RMD 'enfant' devrait être différent du RMD adulte. Ainsi
le RMD 'enfant' serait en moyenne la moitié de celui d'un adulte, 1/18 fois l’âge de l’enfant, la
majorité étant à 18 ans en France. Pour un couple qui aurait deux enfants de 7
et 11 ans, le RMD familial, aux données 2013, serait proche de 1965 euros, nets d'impôts. Pour un parent isolé,
avec deux enfants de 8 et 10 ans, le RMD total serait de l’ordre de 1310 euros (en
partant toujours d’un PIB égal à 2155 milliards d’euros, et une population
concernée de 65,7 millions).
H. Qui y gagne, qui y perd?
Certains pourront paraître désavantagés, en particulier ceux
qui cumulent déjà diverses allocations sociales. L’allocataire du RSA, qui
touchait mensuellement 524 euros fin 2015, s'il touche par ailleurs 160 euros d'autres
allocations, pourrait sembler y perdre. Mais un couple d’allocataires, sans
enfant, ne touchait mensuellement que 760 euros, alors qu’avec le RMD il
toucherait 1310 euros – et ses éventuelles autres allocations ne couvriraient sûrement
pas la différence. De plus, le ‘RSAiste’ ou l’allocataire ASSEDIC de longue
durée ne serait plus dissuadé de
rechercher un travail qui lui plairait, mais qui lui ferait perdre une partie
de ses allocations. Ce seul fait risque de changer totalement la donne du
chômage, et rendra caduque la loi sur le RSA.
D'autres gagnants seraient les personnes âgées. Seules,
elles y perdraient un peu par rapport au minimum vieillesse, mais en couple,
elles bénéficieraient de plus de cent euros supplémentaires par mois. Par ailleurs leur pension de retraite ne
serait évidemment pas impactée.
I. Combien de temps pour cela ?
L’instauration de ce RMD peut être totalement accomplie en
trois ans, donc largement au cours d’une même législature. La première année, seraient
concernés en priorité tous les individus sans travail qui, s’ils sont seuls,
perçoivent moins que le RMD, ou, s’ils sont en couple, perçoivent moins de 2
fois le RMD (même règle pour les familles, en tenant compte du nombre de
personnes à charge). Eradiquer la misère
des plus pauvres des sans-emplois en un an, ceci est possible. En moins de trois ans, en étendant le RMD à
l’ensemble de la population, la misère la plus sordide devrait être
complètement éradiquée de notre pays.
J. Les raisons de l'"universalité" du RMD.
Certains peuvent trouver choquant qu'un Rockfeller ou une
Bettencourt puissent prétendre au même RMD qu'un SDF, un ‘trader’ qu’un
‘travailleur pauvre’, un professeur d’université qu’un SDF.
Il nous semble pourtant essentiel
que ce RMD soit attribué à tous, sans aucune autre considération, un peu
comme pour la blouse grise
"standard" de nos écoliers de 1900.
Sans cette universalité, ce Revenu, quel que soit le nom que
l’on retiendra pour lui, qu'on le qualifie de Dignité ou d'Appartenance
Communautaire, ne pourrait apparaître que comme une assistance déguisée, ce qu'il
n'est pas et ne peut être.
Lorsque l'on accueille chez soi son père ou sa mère
vieillissant, ou son frère ou son cousin, ce n'est pas de l'assistance, c'est
du simple respect de la personne humaine,
c'est le simple partage d'un héritage et d'un patrimoine communs. Il doit en
être de même pour tout 'étranger' à notre famille proche, dès lors qu’il est
membre de notre communauté nationale, en attendant une extension éventuelle
au-delà de nos frontières.
Ne nous trompons pas de combat. Le droit à la dignité ne
signifie pas nécessairement que le travail de chacun ait la même utilité
économique. Un rabbin, un iman, un prêtre, un travailleur social, un bénévole
des Restos du cœur, une 'mamy' au coin du feu radotant parfois, mais entourée de
ses petits-enfants, ont une énorme utilité
sociale, leur utilité économique est plus discutable, surtout à l'aune d'un
mérite 'marchand'. On peut aussi discuter sur le rôle "redistributif"
du travail – même si c’est le travail, in fine, qui crée la richesse à
redistribuer.
Mais ce type de débat, certes important, ne doit pas faire
oublier l'essentiel : tout individu, quel que soit son rôle purement
"économique" a un droit
inaliénable à sa dignité : sa seule existence fait qu'il appartient de
plein droit à notre communauté – en dehors du cas exceptionnel où il
rejetterait de pleine conscience cette appartenance. L'instauration universelle du RMD peut
contribuer à cette reconnaissance de la dignité
intrinsèque de chaque individu. Nul ne se sentira "dévalorisé",
ou "humilié", du fait de percevoir ce RMD, puisque chacun y aura
droit.
Au-delà de ce "minimum", à chacun selon sa
contribution économique, quel que soit le mode de production envisagé, plus ou
moins libéral, c'est un tout autre débat.
Avant d’aborder un point essentiel, celui des pistes
envisagées pour le financement de ce RMD, nous voudrions aborder un point, qui
peut poser problème : le RMD doit-il exiger une contre-partie d’activité?
K. Un revenu sans contre-partie ?
Il peut sembler que le RMD devrait s’appliquer sans
condition, ni contrainte, ni contre-partie. Du seul fait de son existence,
l’homme a sa dignité, et donc un revenu minimum pour cela. C’est du moins notre
conviction, même si, à la lecture de nombreux commentaires, publics ou privés,
cette position reste ouverte à d’éventuels contre-arguments ou à des
aménagements de cette position.
Des travaux d’intérêt
public pourraient ainsi être imaginés en contre-partie de ce RMD, sous
certaines conditions ou précisions. La plus importante de celles-ci reste qu'il
est fondamental de ne pas remettre en cause le sentiment d'appartenance
communautaire, sentiment qui doit être partagé par chaque membre.
De fait, cette allocation étant 'universelle' – au moins
dans le cadre de chaque communauté concernée (France, Europe, ou tout autre
pays ou région) – elle doit concerner tout le monde, 'bourgeois' comme
'prolétaire', 'nanti' comme 'exclu'.
Si l'on demande à chacun, comme contre-partie, un travail
d'intérêt collectif, par exemple orienté vers le développement 'soutenable' ou
l'aide aux personnes, ou tout autre type d'activité, personne ne doit en être dispensé.
Car si l'on fait intervenir des critères de dispense, on
retombe dans les mêmes difficultés que celles qui prévalent dans l'allocation
de telle ou telle prestation sociale, alors qu’il est indispensable de ne pas considérer le RMD comme une
allocation sociale de plus. Toute éventuelle contre-partie ne peut donc
être qu'une contre-partie volontaire, adaptée à la personne concernée.
L. Quelques pistes réalistes pour le financement du RMD.
C'est évidemment à la collectivité de financer ce RMD, soit
par l'impôt, soit par tout autre moyen (mais ce financement reviendra, quel
qu’en soit son habillage, à une ponction
sur la richesse nationale, soit déjà produite, soit à venir).
Le RMD étant net d’impôt, tout autre revenu ‘gagné’ (pour
reprendre les termes de Maurice Allais), c'est-à-dire correspondant à une
activité marchande ou jugée telle, devra être taxé pour le financer.
Pour des raisons de simplicité, on peut juger préférable de
choisir la méthode de la ‘flat taxe’, c'est-à-dire d’un impôt strictement proportionnel. Quelques chiffres sont peut-être nécessaires
ici.
Pour financer RMD adultes et RMD enfants, nous serons proches
d’un besoin global de financement de 20 % sur le PIB (soit 25% sur les
revenus gagnés, en défalquant le RMD). Dit autrement, la part retirée du gâteau
national, compte tenu de la démographie actuelle, serait de 20%. Ces 20%
laissent, évidemment 80 % aux 'revenus gagnés'.
Ce sont ces 80% qui devront financer cette part (qui
représente actuellement, si l'on part d'un PIB de 2155 milliards d'euros, une
assiette d'imposition voisine de 1719 milliards). En pourcentage (immuable pour
une démographie constante) cela correspondrait, nous l’avons vu, à un taux d’imposition
de 25%. En montant mensuel, fonction du PIB actuel (2015), on arriverait
ainsi à un besoin de financement brut mensuel
de l’ordre de 36 milliards d’euros.
Sur ces 36 milliards d’euros mensuels, en enlevant toutes les
prestations sociales non liées à la branche vieillesse de l’assurance maladie –
la protection vieillesse-survie représentant déjà 14% du PIB -, on arriverait à
un besoin de financement net de l’ordre très inférieur à 9 ou 10 milliards d’euros mensuels : voilà l'effort de solidarité
'net' demandé.
L’effort demandé devrait cependant être moindre dès
la deuxième année, du fait de la relance de pouvoir d’achat associé à une
sécurisation très importante du pouvoir d’achat des personnes les plus
fragiles.
Cet effort mensuel initial n’est pas négligeable, certes,
mais il ne faut évidemment pas oublier le différentiel de ressources que nous
pouvons trouver dans la sortie de crise relancée par le fait que le RMD participera grandement à la relance de
la consommation, et donc à celle de
la production, point sur lequel nous allons revenir. Ce sont donc environ 100
milliards annuels (soit 4.8 % du PIB)
qu'il faudrait faire financer par la collectivité, c'est à dire par l'État,
soit totalement par l’impôt, soit partiellement aussi par création monétaire,
et donc par anticipation sur la consommation future, et donc sur la production
future.
Je rappelle que, après la période transitoire, et si on ne
retient que la solution ‘impôts’, l'ensemble des revenus (‘gagnés’) devrait
être imposé à moins de 25% pour financer ce RMD, net d'impôts lui-même.
Une question que l'on peut se poser, devant le côté
apparemment 'magique' du RMD est la suivante : Si l'on voit assez bien qui
seront les bénéficiaires de ce RMD (655 euros mensuels pour chaque adulte, qu'il soit 'riche' ou 'pauvre', en
activité ou non), on peut se demander quels en seront les 'victimes', en d'autres termes: QUI VA PAYER.
En fait, d'après nos premières hypothèses de travail, le
surcoût annuel de 100 milliards d'euros devrait correspondre pour partie au
fait que le PIB passerait d'une faible croissance de 1% à une croissance
positive de 3 à 3.5%, soit 200 à 250 points de PIB.
Ces 40 à 50 milliards de croissance (liés essentiellement à
la relance de la consommation) seraient donc à défalquer des 100 milliards
annoncés plus haut. D’où un besoin net
de 50 à 60 milliards, soit 4 à 5 milliards d’euros mensuels. On est bien
loin des 700 à 800 milliards du premier plan Paulson, des 800 milliards du
plan Obama 2009, ou même du crédit de 340 milliards accordé par l’état français
aux banques en cette même période, sans même parler des opérations de QE amorcées
depuis un an par la BCE, et qui viennent de passer, en mars 2016, à 80
milliards mensuels, soit environ 17 milliards à l’échelle de la France.
Rappelons que le RMD peut être vu comme un crédit accordé
directement par l’État à l’ensemble des consommateurs, et que ce crédit sera
assez largement remboursé par les revenus gagnés, c'est-à dire par les profits
des entreprises et les revenus des
travailleurs.
M. Autres financements possibles de ces 50 à 60 milliards annuels.
Cinq pistes principales sont à explorer, même si elles sont
difficiles à chiffrer.
a) Tout d'abord, les patrons peu scrupuleux, ou patrons 'voyous' - le fameux 'homme aux
écus' dépeint par Marx - qui auraient
beaucoup plus de mal à exploiter une 'force de travail' dont le RMD garantirait un pouvoir de négociation
supérieur.
b) Ensuite, les 'travailleurs
au noir' (parfois liés aux pratiques des patrons voyous) qui n'auraient plus
d'excuses pour arrondir leurs fins de mois, sous prétexte qu'une activité officielle
leur ferait perdre une partie de leurs avantages sociaux, comme le RMI ou e
RSA. Le travail au noir devra donc être pourchassé avec la dernière énergie, et
des sanctions sévères devront frapper entrepreneurs et travailleurs concernés.
c) Les nombreux fonctionnaires
’contrôleurs’, dont la mission principale est de traiter et de contrôler
les multiples prestations sociales, pourront se voir attribuer des missions
beaucoup plus en rapport avec leurs véritables compétences, et beaucoup plus
productives et profitables pour la collectivité.
d) De façon plus positive encore, le travail mal payé
et/ou sans valeur ajouté n'étant plus indispensable pour obtenir un minimum
vital, on peut penser que tout travail
sera un véritable travail, productif, et non pas de l'assistance déguisée.
Là encore, il est difficile d'estimer les milliards que ceci fera gagner à la
collectivité, mais on peut penser que ce n'est pas négligeable.
e) Cinquième piste de financement possible – sur
laquelle nous reviendrons plus loin - la plus innovante peut être, consisterait
à financer tout ou partie de ces 60 milliards par une monnaie 'alternative',
émise peut être directement par les collectivités locales (celles qui étaient
chargées jusqu’à présent de distribuer le RMI), pour financer par exemple des
chantiers « d'économie sociétale »
Je terminerai enfin cette note en évoquant les oppositions
qui ne manqueront pas de se faire voir à cette idée d'allocation universelle,
oppositions venant de ‘gauche’ comme de ‘droite’.
N. Les oppositions à prévoir.
Ces oppositions existeront sûrement. Pour essayer d’en
désamorcer le plus grand nombre, et pour tenter d’obtenir l’adhésion du plus
grand nombre, en particulier chez les politiques de tout bord, les
syndicalistes, les chefs d’entreprise et diverses associations humanitaires,
nous allons essayer d’être aussi précis et simple – ce qui ne veut pas dire
simpliste – que possible, tout en restant cohérent, espérons-le, avec les idées
de base énoncées plus haut.
Le financement du Revenu Minimum de Dignité correspond
avons-nous dit à une division en deux parties du PIB. La première partie (20 % pour fixer les
idées, pour financer l'ensemble du RMD, adultes et enfants confondus), ira indistinctement à chacun.
Mais il est essentiel que le RMD ne corresponde pas à un montant fixe - évalué à 655 euros en 2015 - mais bien à un pourcentage
du PIB, c'est-à-dire de la richesse nationale. Si cette richesse augmente,
grâce au travail des ‘travailleurs marchands’, cela bénéficiera à l’ensemble de
la collectivité. Si elle diminue, chacun sera, et se sentira aussi, concerné.
La deuxième partie du PIB (80% si l’on retient nos
hypothèses chiffrées) correspondra au "mérite économique" de chacun,
mérite estimé suivant les règles habituelles, il ne s'agit pas ici de changer de
mode de production en décrétant "supprimons les patrons et mort aux
entrepreneurs".
C’est le ‘Revenu gagné’ cher à notre Prix Nobel d’économie, Maurice
Allais, par opposition au ‘revenus non gagnés’ des capitalistes et autres
‘prêteurs sur gages’, tels nos ‘chers banquiers’.
Cette division en deux parties semble simple,
compréhensible, et a pour but de montrer à la fois la solidarité de la collectivité
envers chaque individu : l'octroi du RMD, mais aussi l'importance économique du travail pour cette même
collectivité, puisque si la production collective diminue, le RMD individuel, adulte comme enfant, diminue
d'autant.
Le partage des surplus.
Il ne s'agit donc nullement de demander aux entreprises de
fonctionner différemment, mais 'simplement' de faire précéder la production d'une
indication précise d'une partie de la répartition: il ne s'agit pas non plus
d'une division entre capital et travail, mais d'une division entre solidarités
(à hauteur d’environ 20% du PIB), capital et travail.
Pain et dignité pour
tous : Si j'ai fait référence dans d’autres articles à la CGT et à son
slogan ‘du pain et du travail pour tous’
(en l’amendant quelque peu ‘du pain et un toit pour tous, et des activités, marchandes ou non marchandes, pour
chacun’), ce n'est pas par démagogie, mais parce qu'il me semblait qu'un de leurs slogans – au cours
de la journée du 29 janvier 2009 - montrait un malaise profond que l'on ne pouvait ignorer, et que
la réponde du RMD pouvait avoir un sens dans un tel contexte.
Relancer la consommation, populaire ou non, semble en effet
être une priorité absolue, surtout lorsque l'on constate l'importance des
capacités de production inutilisées.
En conclusion, le Revenu Minimum de Dignité apparaît non
seulement indispensable sur le plan social et économique, mais il est aussi tout
à fait envisageable au niveau financier et, enfin, les bénéficiaires et ceux
qui y perdraient peuvent être relativement facilement identifiés. Sur le plan
politique, il apporterait aussi un véritable changement, dont l’effet d’annonce
en période électorale peut donc s’avérer considérable.
O. Une piste complémentaire de financement.
Pour financer le RMD, on peut imaginer d’utiliser une monnaie ‘classique’, mais affectée
spécialement au RMD. Certains experts de la question monétaire ont relancé
ces dernières années des réflexions sur les avantages d'utiliser une monnaie
'non thésaurisable' – parfois baptisée 'accélérée' ou 'fondante' (suivant le
terme utilisé par les disciples de S. Gesell). Il est vrai que, pour le moment,
la monnaie accélérée de S. Gesell, lorsqu'elle a été appliquée, n’a jamais
réellement concerné plus de quelques milliers d’individus.
Or nous parlons ici de dizaines de millions de personnes
concernées, c'est une toute autre échelle, et un tel changement d'habitude vis
à vis de la monnaie – qui n’aurait plus aucune capacité de « réserve financière
» - serait sûrement délicat à mettre en œuvre rapidement.
Au contraire, la monnaie 'alternative' dont il va s'agir
maintenant est beaucoup plus classique, puisqu'elle
peut s'apparenter aux bons d'achat que tout un chacun connaît. L'idée est la suivante. Cette monnaie,
appelons la ‘monnaie RMD’, ou ECU-SOL (pour European Currency Unit Solidaire,
si l'on veut), aurait toutes les propriétés de la monnaie, en reprenant la
définition suivante:
« moyen de paiement
possédé par X et reconnu comme tel par la communauté à laquelle appartient X »
On pourrait, de plus, définir les 5 points essentiels pour garantir le
bon fonctionnement d'une telle monnaie
ECU-SOL:
a) Qui émet : (Les collectivités territoriales,
missionnées par l'Etat)
b) Combien on émet : (chaque mois, 5 milliards d'euros,
ou plutôt d'ECU-SOL, à parité avec l'euro
pour faciliter les calculs)
c) Comment on émet : (par le biais d'une carte de type
'VITAL' ou 'Moneo' ou « carte nickel », appelée en France « carte tricolore », lisible par
tout terminal bancaire et toute caisse
d'hyper marché, et tout lecteur de carte de commerçant)
d) Pour quoi, pour qui: pour financer le RMD, pour chaque
membre de la communauté
e) Qui contrôle: la collectivité, lors de l'émission et le
'renflouement' de chaque carte, au début de
chaque mois.
L'usage de ces cartes ECU-SOL reste à préciser, mais l'on
peut fort bien supposer que l'on demande
aux commerçants, aux grossistes, et aux industriels d'apposer un code
barre particulier sur chacun de leur produit, précisant l'origine géographique
de chaque produit, son contenu 'éthique', son
contenu 'écologique', l'ECU-SOL étant soit prioritaire pour financer ce
type de produit (avec une remise
particulière pour le couple monnaie ECU-SOL produit labellisé 'ECU-SOL'), soit
même unique pour cela.
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