L’économie : une pseudo science avec quelques vérités et beaucoup de questions
Tribune libre de Bruno
Lemaire, Club Idées Nation
Il est toujours suspect de partir
de « vérités » qui sont souvent contextuelles, voire relatives. Il me
semble cependant que 3 vérités relèvent, ou devraient relever, du simple bon
sens.
Vérité 1 : ce sont
les entreprises, au sens large, quelle que soit leur forme juridique ou de
‘gouvernance’, qui créent des emplois, et qui produisent. Elles ne peuvent le
faire que si elles trouvent des acheteurs, ou, du moins, si elles en espèrent.
Vérité 2 : l’Etat,
ou les autorités censées le représenter, n’a pas d’influence directe sur les
emplois ni sur la production. Par ses prélèvements ou dépenses, il peut
modifier la répartition du pouvoir d’achat et, ainsi, avoir une influence sur
la Demande des entreprises.
Vérité 3 : Tout
individu a besoin d’être reconnu par la société à laquelle il appartient en
tant qu’être humain, soit par la rémunération de son travail, soit par le fait
que ses activités non nécessairement marchandes ont un impact jugé positif sur
son environnement ou sur lui-même. Comme l’écrivait, pour le refuser, Antoine
de St Exupéry « l'homme robot, l'homme
termite, l'homme oscillant du travail à la chaîne système Bedeau, à la belote.
L'homme châtré de tout son pouvoir créateur et qui ne sait même plus, du fond
de son village, créer une danse ni une chanson. L'homme que l'on alimente en
culture de confection, en culture standard comme on alimente les bœufs en
foin »
Face à ces ‘vérités’, beaucoup de
questions que la ‘science’ économique n’a jamais totalement résolues. Mais le
peut-elle ?
Question 1. Comment
réconcilier et assurer le meilleur équilibre possible entre la politique
d’Offre (des entreprises) et la politique de Demande des consommateurs
potentiels (la fameuse Demande solvable) ?
De mauvaises réponses plus ou
moins adéquates (en fait, de moins en moins adéquates) ont pris la forme d’une intervention
directe de l’Etat sur les conditions de l’Offre, ou des conditions de plus en
plus extrêmes proposées par le système banco-monétaire depuis des décennies, qui
prête de l’argent créé ex-nihilo contre des promesses de remboursement de plus
en plus fictives, en vue de permettre à des consommateurs désargentés de
pouvoir acheter des biens à la production desquels ils sont de moins en moins
nombreux à participer.
Question 2. Le plein
emploi est-il envisageable, ou même possible, dans un avenir sinon proche, du
moins à horizon raisonnable ?
Les économistes orthodoxes
essayent de se s’accrocher à une idée magique proche de l’astrologie ou de
l’alchimie qui serait qu’il y a un sentier de ‘croissance’ stable sur le
dernier siècle, d’un taux minimum de 2%, et qu’il suffit de retrouver ce
sentier perdu pour que tout s’arrange. C’est sans doute cette idée sans
fondement sérieux que les ‘experts’ qui conseillent François Hollande lui ont
‘vendue’. En fait, la future croissance, si croissance il y a, reposera sans
doute sur un changement complet de paradigme, sachant que l’industrialisation des
deux derniers siècles a reposé sur une croissance, voire une exploitation, des
ressources fossiles, en particulier énergétiques, qui aura évidemment une fin,
par définition : des ressources limitées ‘physiquement’ sont
nécessairement … limitées.
Question 3. Dans une
économie moderne, quel rôle doit-on laisser à des interventions monétaires, la
politique monétaire a-t-elle encore un sens positif, une efficacité
quelconque ? Et qu’est-ce d’ailleurs que la monnaie ?
A cette double question, l’ancien
gouverneur de la Banque d’Angleterre, Lord Mervyn King, répond presque
humblement : nous ne savons pas vraiment définir la monnaie, et, pire
encore, nos sociétés modernes ne savent pas utiliser correctement le système
monétaire et bancaire dans le développement d’une économie capitaliste. Ce
gouverneur, qui a quitté ses fonctions en 2013, écrit ainsi « our collective failure to manage the
relationship between finance – the structure of money and banking – and a
capitalist system”.
Tout cela montre que nous sommes
très loin d’un consensus sur ce qu’il faudrait faire face à la crise dans
laquelle le monde entier semble plongé depuis presque une décennie, avec des
« sorties » de crise si souvent annoncées, et toujours fort
éphémères, voire inexistantes.
Peut-être serait-il temps de se
demander si le problème n’est pas spécialement mal posé, pour des raisons qui
ne sont évidemment pas liées au manque d’intelligence ou de compétences des
experts ès politique économique, mais peut être davantage à leur idéologie ou à
leurs arrière-pensées politiques leur interdisant de dire que le
roi, ou le président, est nu, alors que n’importe quel de ses sujets le
constate.
Pour tenter d’esquisser sinon une
réponse, du moins une nouvelle piste de réflexion, je vais revenir au triangle
de ‘vérités’ initial, puisque, en principe, toute société humaine
devrait avoir pour objectif de réaliser l’harmonie, sinon un équilibre
immuable, entre ceux qui offrent des emplois, essentiellement les entreprises,
ceux qui sont censés représenter et gérer le bien commun, à savoir les
représentants de l’Etat, et enfin les individus eux-mêmes, dont le double rôle,
économique, à la fois producteurs et consommateurs, est souvent doublement
menacé.
Pour cela je vais revenir à une
question fondamentale, que l’ex gouverneur de la Banque d’Angleterre a
évidemment abordée, par défaut, mais en insistant sur son côté formel, en
oubliant totalement son côté concret. Une monnaie doit évidemment être un moyen
universel d’échange – c’est-à-dire permettre d’acheter n’importe quel bien ou
service – et sa valeur doit être ‘raisonnablement’ stable – au sens où le prix
de la baguette, du smartphone ou de la voiture familiale ne doit pas varier
d’une semaine ou même d’un mois ou d’une année à l’autre.
Mais au-delà, ou même avant
ces deux qualités, ces deux ‘fonctionnalités’, de la monnaie, une monnaie
devrait correspondre de la façon la plus intime possible aux capacités du
travail humain au cours du processus réel de production et de consommation
caractérisant l’économie réelle, l’économie physique. En d’autres termes, la
monnaie doit être réellement comptable de l’énergie humaine réellement utilisée
et utile, ce n’est qu’ainsi que cette monnaie ne sera pas de la fausse monnaie,
fausse au sens où elle ne correspondrait pas réellement aux nécessités des
échanges permettant cette harmonie que nous recherchons entre individus,
entreprises et société dans son ensemble.
Dit encore autrement, une monnaie
créée par les banques commerciales (c’est le cas de plus de 90% de la monnaie
actuellement en circulation dans la zone euro) devrait correspondre à de
l’épargne, ou encore devrait être gagée sur des biens ou des structures
existantes. Et non pas sur des anticipations plus ou moins irréalistes qui ne
seraient réalisées qu’au prix d’une course en avant dans laquelle il faut
émettre de plus en plus de monnaie pour un résultat de pseudo-croissance de
moins en moins assuré, qui reporte sur les générations futures un poids réel en
contre-partie de bénéfices de plus en plus douteux.
L’économie actuelle est en train
de littéralement crever des dettes, publiques et privées accumulées depuis près
de 40 ans (ces dettes représentent officiellement en France plus de 2 fois et
demie la production annuelle nationale, et sans doute beaucoup plus encore si
on y ajoute tous les engagements hors bilan des banques et de l’Etat français).
Ce n’est que depuis un siècle que les banques ont commencé à prêter « hors
gages », c’est-à-dire en anticipant sur une croissance future. Cela
pouvait avoir un sens quand ces prêts étaient destinés à des investissements
structurels ou collectifs fondamentaux, et d’une ampleur raisonnable. Mais
lorsque depuis un demi-siècle, cette création monétaire, car c’est bien de cela
dont il s’agit, ne s’est plus appuyée que sur des contreparties de plus en plus
douteuses, à la fois vis-à-vis des entreprises qui sollicitaient ces emprunts
mais aussi dans les tristement fameux crédits à la consommation (prenant
parfois la forme de « credit revolving » conduisant les plus fragiles
de nos compatriotes à un surendettement à peu près certain) on a atteint le
fond de l’abîme. Les crédits à la consommation, quand ils ne sont pas accordés
sur des gages réels, devraient être bannis, et il devrait en être de même pour
les crédits à l’investissement, quand ces investissements ne correspondent pas
à une épargne préalable.
Certains ont relié la crise
actuelle à la fameuse décision de Nixon de supprimer le lien entre dollar et
or, ce qui correspondait de fait à une dévaluation du dollar. Mais ce
décrochage du dollar était déjà ancré dans la sur-consommation et la
sous-épargne des consommateurs US, qui vivaient depuis des années au-dessus de
leurs moyens. Et la financiarisation des économies occidentales, qui a commencé
en 1973 et dont la dérégulation finale des années 1985-86 a été accueillie
comme le triomphe de la raison des économistes orthodoxes sur l’obscurantisme
des ignorants, n’a fait qu’amplifier le phénomène, qui se traduit de nos jours
par une sur-consommation « à crédit » dans certains pays, un chômage prégnant
dans certaines contrées, parfois les mêmes, et des déséquilibres financiers et
commerciaux sur l’ensemble de la planète.
Nos solutions, ou nos esquisses
de solutions, découlent de ce diagnostic rapide, mais sans concession.
Aucun crédit nouveau ne devrait
être bâti sur du sable, du moins en ce qui concerne la consommation. La
monnaie est une ressource rare, et doit donc correspondre à du réel, pas à de
l’imaginaire, et encore moins à des possibilités de spéculation.
Dans le cas d’investissements dit
‘productifs’, son financement devrait reposer, sauf exceptions, sur de l’épargne
déjà existante, et non sur des prévisions toujours optimistes qui, la
plupart du temps, n’ont pas plus de réalité que des promesses électorales si
souvent démenties. Plus précisément, seule une banque centrale sous contrôle de
l’Etat devrait avoir le droit de créer de la monnaie, le seul rôle des banques
commerciales devant être de rapprocher les besoins de financement des
entreprises de l’épargne des particuliers. En ce qui concerne les besoins de
trésorerie des entreprises, le fait que la production soit déjà réalisée mais
non encore facturée ou payée relève d’une toute autre démarche, à savoir des
crédits de court terme analogues aux prêts à court terme des débuts de l’ère
industrielle avant que la financiarisation de plus en plus poussée des
économies modernes ne transforme le monde en un gigantesque casino.
Dernière piste, enfin, piste non
monétaire celle-là. Les déséquilibres commerciaux doivent être combattus avec la
plus extrême attention. En d’autres termes, la France, comme d’autres pays,
doit pouvoir équilibrer ses échanges, de la même façon que sa consommation doit
être équilibrée par ses capacités de financement, c’est à dire par l’argent
dont elle dispose, hors crédits nouveaux, c’est-à-dire hors dettes
supplémentaires. Pour cela ses exportations doivent être au niveau de ses
importations. Différents moyens existent pour cela, dont l’instauration de
marchés de « droits à importer » permettant à la France, considérée
comme une macro-entreprise d’import-export, de retrouver la situation qu’elle
avait au début des années 1970, celle d’un pays en équilibre extérieur
Il est clair que le fait de
retrouver cet équilibre extérieur aura à la fois des conséquences positives et
négatives à court terme, mais positives à long terme.
A court terme, le fait de
produire davantage en interne, en achetant moins à l’extérieur ou en vendant
davantage à l’extérieur, aura un effet positif sur l’emploi, mais peut avoir un
effet négatif sur notre pouvoir d’achat pour certains produits dont nous avons
abandonné la fabrication depuis plus ou moins longtemps. Mais, à long terme, le
fait que nous abandonnions la facilité apparente de vivre artificiellement, à
crédit, en épuisant à la fois les ressources actuelles et les possibilités de
financement des générations futures, ne peut qu’avoir un effet bénéfique sur le
bien commun des générations suivantes.
En guise de conclusion le dilemme
que certains posent en tant que choix entre « Colbert et
Thatcher », c’est-à-dire entre un état régulateur et une économie
entièrement dérégulée n’est évidemment pas complètement réglé.
A l’Etat de s’occuper du bien
commun, et des plus faibles de ses administrés, à la fois par son
pouvoir monétaire (une monnaie centrale au service du bien commun, donc sans
fausse monnaie ni monnaie de crédit et de spéculation) et par son pouvoir
redistributeur (politique fiscale ou sociale, aussi simple que possible afin
qu’elle soit comprise de tous). Aux entreprises de faire ce qu’elles savent
faire de mieux, à savoir produire des biens et services utiles et
commercialisables, dans un contexte réglementaire aussi simple que possible. A
l’individu, enfin, de trouver sa place dans une société apaisée, car plus
transparente, aux règles claires et intangibles.
Mais tout ceci ne pourra se
faire, ce qui est en filigrane dans les écrits de Lord King, sans
reprise en main du système monétaire et bancaire, évidemment pas dans
le sens proposé par ce dernier. La monnaie doit correspondre au plus près aux
ressources réelles de la nation, aux besoins des entreprises et de
l’Etat, au lieu d’être au service sinon exclusif du moins prioritaire des
marchés financiers et des banques commerciales, ce qui est très loin d’être le
cas actuellement
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