La question des dettes publiques est-elle bien évaluée
Une France
surendettée, est-ce si terrible que cela ?
Par Bruno Lemaire, ancien doyen associé d’HEC, Club Idées Nation
Question. On nous dit que la France n’a plus d’argent depuis fin Octobre pour
payer ses dépenses publiques, est-ce vrai ?
Les recettes 2016 de l’Etat ont
effectivement toutes été utilisées, l’État
français vit maintenant à crédit jusqu’à la fin de l’année.
Q. Mais est-ce que cela signifie que la France est en faillite, comme le
disait déjà F. Fillon il y a 10 ans ?
D’un point de vue purement
comptable, on pourrait dire cela, même si un État, tant qu’il existe, ne peut
réellement être en faillite, il ne va pas disparaître comme une entreprise. La
France va devoir encore emprunter, de l’ordre de 80 milliards d’euros, pour pouvoir
régler ses dépenses.
Q. Mais si sa faillite ne peut se produire, la France va donc pouvoir
continuer à vivre au-dessus de ses moyens, sans rien risquer ? Pourquoi
s’inquiéter ?
Lorsque l’on manque de ressources, il
n’y a pas 36 façons de s’en sortir.
Soit dépenser moins, soit faire
appel au crédit.
Mais dépenser moins, dans le cas
présent, signifierait qu’on ne paye plus les fournisseurs de l’État, et peut
être même les fonctionnaires, employés de l’État ou des
collectivités territoriales.
Q. Effectivement, cette ‘solution’ semble un peu radicale. Et quid du
crédit ?
Pour emprunter, il faut trouver des
créanciers, et plus les dettes augmentent, plus les créanciers risquent de se
faire rares, ou de demander des taux d’intérêts importants.
Q. Je croyais que les taux étaient très faibles en ce moment. Pourquoi ne
pas en profiter ?
Effectivement, l’argent est presque
‘gratuit’ en ce moment, mais cela peut changer, et vu le montant actuel des
dettes, (de l’ordre de 2200 milliards) une hausse de taux de 1% représenterait
22 milliards supplémentaires. Et si nous revenions aux taux des années 2000 à
2010 la note pourrait être double ou triple, ce qui serait catastrophique.
Q. Certains disent cependant que ce ne serait pas si grave, il suffirait
d’emprunter plus encore, de « faire rouler la dette », pour pouvoir
payer ce surcroît de dettes !
Même avec des taux faibles, comme pour le
moment, s’endetter pour rembourser une dette ancienne ne peut conduire qu’au
désastre. Ces dettes qui s’accumulent rendent la situation de la France de plus
en plus fragile. Comme je le disais précédemment, les créanciers risquent
d’être de plus en plus difficiles à trouver. Mais, pour le moment, ce n’est, heureusement
ou non, pas encore le cas.
Q. Pourquoi « pas heureusement », c’est plutôt une bonne
nouvelle, non, de trouver facilement de l’argent ?
Si les créanciers étaient plus
frileux, autrement qu’en demandant des taux plus élevés, cela conduirait peut-être
la France à mieux gérer ses dépenses publiques, à faire plus d’efforts pour
être plus efficace. Mais tant qu’elle pense qu’elle trouvera toujours des
ressources externes pour payer ses dépenses, elle n’est pas vraiment incitée à
faire des efforts en ce sens.
Q. Un peu comme un jeune qui dépense plus que son argent de poche, en
dépit des gros yeux que lui font ses parents, parce qu’il sait que ces derniers
finiront par payer, de toute façon ?
Oui, c’est un peu cela. Pour
l’instant les « gros yeux » viennent de Bruxelles, qui fait semblant
de se fâcher lorsque le déficit français ne baisse pas suffisamment, mais pas
vraiment des créanciers éventuels, qui se disent qu’il vaut mieux prêter à la
France qu’à la Grèce, vu les situations relatives des deux pays.
Mais, encore une fois, un contexte
économique dans lequel on vit de plus en plus à crédit, en faisant payer soit
le travail passé – par des impôts de plus en plus lourds – soit le travail
futur (nos enfants et petits-enfants) – par les dettes qui s’accumulent – ne peut être viable !
Q. Cette situation est effectivement inquiétante, mais, après tout, tant
qu’on n’est pas obligé de rembourser, en faisant « rouler la dette »,
peu importe, non ?
Effectivement, certains se disent
« après moi le déluge ». Il se trouve cependant que les plus
puissants de nos créanciers, ou les plus retors, vont, eux, réussir à se faire
payer au détriment des créanciers moins habiles, voire au détriment des simples
épargnants (on le voit déjà par les ponctions qui menacent officiellement notre
épargne, ou même nos comptes courants, depuis le 1/01/2016)
Q. Un peu comme à Chypre ?
Oui, mais cette fois-ci ce ne sera
pas seulement des « oligarques russes » qui seront visés, mais 10 à
15% des foyers français, en particulier ceux qui auront cru dans la sécurité de
leurs placements en assurance-vie.
Q. Mais que peut-on faire pour éviter ce scénario de plus en plus
catastrophique ?
L’objectif est simple, même si les
moyens pour y arriver le sont moins. L’objectif est tout d’abord de stabiliser
la dette, et donc de réduire à zéro le déficit public.
Q. Plus facile à dire qu’à faire. Je suppose que tout le monde dit cela,
sans doute, mais comment le réaliser ?
Les dettes accumulées sont pour une
grande part liées au fait que la France ne produit pas assez, et que nombre de
travailleurs potentiels sont au chômage. Il faut absolument que la France retrouve
le chemin d’échanges équilibrés avec le reste de la planète et, pour cela,
retrouver l’esprit de la charte de la Havane.
Q. Qu’est-ce à dire ?
Cette charte, établie en 1947-48
sous l’égide de l’ONU, proposait que chaque pays soit en équilibre commercial
avec l’ensemble des autres pays. Dans le cas de la France, cela signifierait
que les 50 à 60 milliards de déficit commercial dû à des importations
supérieures depuis une douzaine d’années à ses exportations soient produits en
interne, par des ouvriers ou employés français sortis du chômage dans lequel
certains s’enkystent depuis des années, et cela demandera sans nul doute que la
France retrouve aussi sa souveraineté monétaire. Mais ceci est une autre
histoire.
Pour en rester sur la question de
la dette et du chômage, ces deux phénomènes sont intrinsèquement liés, et
doivent être traités simultanément.
Mais ce n’est pas la seule
possibilité de s’attaquer à la dette.
Q. Que voulez-vous dire par là ?
Certains analystes, comme A.J. Holbecq
ou P. Derudder, ont mis en valeur que sur les 2200 milliards de dettes, près
des ¾ , soit 1500 à 1600 milliards, correspondaient à des intérêts sur cette
dette.
Q. Oui, et alors ? C’est normal de payer des intérêts, non ?
Oui et non. Lorsque l’on sait que
l’essentiel de ces crédits a été accordé par des banques commerciales, qui
empruntaient à la Banque de France puis à la Banque Centrale Européenne (BCE) à
0% ou 1% pour reprêter à la France à 3 ou 4%, je ne suis pas sûr que ces
intérêts soient réellement « mérités », au sens ou Maurice Allais parlait
de revenus gagnés ou non gagnés.
Q. Encore un effet de la loi de 1973 puis du traité de Maastricht ?
Tout à
fait. Vous voyez que si nous avons la volonté politique de traiter, enfin, la
question de nos dettes, nous pouvons y arriver. Mais cette volonté repose sur
deux pieds, protectionnisme et souveraineté - en particulier monétaire. Tout un programme !
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