Euro ou pas euro: une crispation inutile, ou pas?
Euro ou pas euro: le bon sens
n’empêche pas la dialectique !
Par Bruno Lemaire, ancien doyen associé d’HEC, conseiller économique de
Marine Le Pen de 2011 à 2014
Un constat qui semble imparable :
sortir de l‘euro fait peur aux français, qui ne voteront jamais majoritairement,
du moins apparemment, pour ceux qui pensent indispensable ce départ, mais avec
l’euro la France continuera à accumuler déficits sur déficits, comme c’est le
cas, toujours apparemment, depuis 2002.
Dit autrement, et plus
brutalement : s’il est impossible
d’arriver au pouvoir en soutenant la sortie de l’euro, à quoi servirait-il
d’avoir raison si nous n’avons jamais les manettes pour le prouver ?
Faut-il attendre des années, et d’éventuels désastres complémentaires, en
particulier du fait d’une immigration de plus en plus ingérable, pour que
l’avenir donne, peut-être, raison à ceux qui soutiennent, contre vents et
marées, que l’euro est un boulet pour l’économie française, et sans doute aussi
pour nombre de pays de l’€zone ?
Il ne m’appartient pas ici de suggérer des priorités politiques entre
différentes possibilités d’action, du genre « occupons nous d’abord
des questions d’immigration et de sécurité », et laissons l’économie de
côté, ou inversement. Mon propos, ici, est essentiellement de parler
d’économie, tout en sachant que l’économie
n’a un intérêt que si elle est mise au service du bien commun, et donc que
si elle est accompagnée d’une vision et d’une volonté politiques susceptibles
de mobiliser une majorité de citoyens.
Depuis que j’ai eu l’honneur, en
2011, d’être choisi par Marine Le Pen, avec l’un de mes collègues universitaires,
comme l’un de ses deux conseillers économiques,
j’ai toujours défendu le même point de vue : son programme économique présidentiel devait reposer sur 3 pieds,
la question monétaire, la priorité nationale et la régulation
des échanges (autre nom du protectionnisme
intelligent) Il se trouve, par ailleurs, que l’un de ces piliers, la
priorité nationale, a toujours constitué l’ADN du Front National, depuis sa
création en 1972, et que seuls de mauvais esprits – il en existe semble-t-il –
pourraient suggérer que le Front National se comporte en relançant ce point
fondamental de façon incohérente.
Rappelons les raisons de ce
triple choix : la priorité nationale consiste
à chercher à développer les productions locales, dans un double objectif,
patriotique et écologique. C’est ainsi que nous souhaitons privilégier, dans
les marchés publics, des entreprises de proximité, et que nous voulons
encourager une consommation raisonnée, à savoir, par exemple, consommer des
fruits de saison en évitant de rechercher des fraises au mois de décembre.
En ce qui concerne la régulation
des échanges, ou patriotisme économique, ce point est conforme aux souhaits de
l’ONU tels qu’ils avaient été exprimés en 1948 dans sa charte, dite de la
Havane, au moment de la création de l’OIC, remplacée funestement des décennies
plus tard par l’OMC. Dans cette charte, il était dit explicitement que le
commerce inter-pays devait être équilibré, que les pays excédentaires devaient
restreindre leurs exportations, ou augmenter leurs importations, au risque d’être pénalisés financièrement s’ils
ne s’efforçaient pas d’atteindre cet équilibre. Si cette charte de bon sens
était appliquée de nos jours, l’Allemagne serait lourdement pénalisée, vu les
250 milliards d’excédents – l’équivalent de plus de 60 porte-avions – qu’elle
engendre actuellement, en ensevelissant littéralement de ses excédents les pays
clients, obligés d’ailleurs de recourir à un endettement de plus en plus
important pour faire face à ces achats. Les écluses commerciales que Marine Le
Pen avait envisagées lors de la campagne présidentielle de 2012 avait pour
principal but de résoudre cette question, par différents procédés, dont des
droits à importer, une TVA adaptée, des droits de douane spécifiques et
d’autres mesures techniques dont des pays comme la Suisse ne se privent
d’ailleurs pas.
Le troisième point concerne effectivement
la question
monétaire, celle de l’euro. Il ne s’agit pas ici de refaire le
procès de l’euro, de ses avantages ou de ses inconvénients, mais de rappeler
certains faits.
En 2002-2003, le commerce
international de la France était en équilibre, il ne l’est plus depuis lors, et
son déficit commercial fluctue entre 50 et 70 milliards : ce qui
correspond au coût de 12 à 15 porte-avions, ou de 25 à 35 milliers de collèges,
ou encore 160 à 200 milliers de places de prison, et ce, annuellement !
Rappelons aussi que le budget total annuel du ministère de la Justice est de moins de
8 milliards, comme le coût de la nouvelle ligne de TGV Tours- Bordeaux.
Plusieurs organismes
internationaux, dont le FMI, ont calculé que la compétitivité allemande était
21% supérieure à la compétitivité française. Dit autrement, pour être
compétitives, les entreprises françaises devraient fabriquer des produits, ou
offrir des services, 21% moins onéreux que les produits allemands analogues.
Plusieurs
solutions sont envisageables, en dehors de celle de ne rien faire, et de
continuer à voir la France se désindustrialiser en étant maintenue sous
perfusion par sa grande "alliée" l’Allemagne, avec la « bienveillance »
de la BCE, tant que celle-ci continue à nous permettre d’utiliser des euros
« français » qui finissent par se retrouver, tôt ou tard, dans les
caisses de la Banque d’Allemagne.
Quoiqu’il en soit, aucune
solution n’est magique, même si le fait d’utiliser à plein les deux autres
piliers de priorité nationale et de protectionnisme pourraient sans doute avoir
un impact non négligeable sur notre balance commerciale et sur la relance de
l’emploi domestique. Ce qui aurait aussi le grand avantage de montrer que les
mesures économiques proposées par le Front National et Marine Le Pen peuvent
être efficaces, même si le carcan de l’euro en limiterait l’impact. Aux
électeurs ensuite de voir s’il faut aller plus loin, et retrouver une pleine indépendance
monétaire, sans que notre politique ne soit systématiquement scrutée,
surveillée, encadrée, régentée par les « experts » de la Banque
Centrale Européenne.
En dehors cependant
de l’utilisation astucieuse et « border line » suggérée plus
haut, et qui consiste à utiliser le système informatique international Target 2
pour intégrer la charte de la Havane dans le système de compensation, en augmentant
de 21% ce que nous devraient les entreprises allemandes, ou en diminuant de 17.6%
(= 100 – 121/100) ce que nous devrions aux entreprises allemandes, la seule
solution, hélas, serait beaucoup plus pénible. Elle constituerait en effet à diminuer
les salaires, en tant que coûts salariaux – d’où un impact négatif sur le pouvoir d’achat de nos
compatriotes - ou encore, voire
simultanément, de diminuer les charges sociales sur le travail – d’où un impact
négatif sur notre protection sociale associée à l’Etat Providence.
En guise de conclusion, au moins
provisoire, le Front National ne semble pas avoir besoin de reprendre de
fond en comble son programme, dès lors
qu’il sait proposer et défendre de façon cohérente ses 3 piliers, priorité
nationale – l’ADN du mouvement – protectionnisme
intelligent (ni trop libéral ni trop étatique, mais de simple bon sens
« onusien ») et enfin une monnaie adaptée à notre économie, et pas à
celle de l’Allemagne. Laquelle risque d’ailleurs de se retrouver elle-même
ensevelie sous des monceaux d’euros qu’elle aura de plus en plus de mal à
utiliser, c’est du moins ce qu’en disent des experts, pourtant très libéraux,
comme Sannat ou Gave.
Une piste supplémentaire à
creuser pourrait être d’envisager l’utilisation d’une monnaie complémentaire,
mais ce point, relativement technique, est à utiliser avec précaution, ce point
risquant d’apparaître anxiogène à certains, même si des expériences limitées de
monnaie locale relativement encourageantes ont été expérimentées à petite
échelle un peu partout en Europe et en Amérique du Nord. L’idéal aurait été de
la tester dans une région, si nous en avions eu la gestion.
Une dernière suggestion : ne
pas faire de la sortie de l’euro l’alpha et l’oméga du programme, mais
l’intégrer dans la vision plus complète que j’ai essayé de rappeler, tout en
souhaitant que sur la partie protectionnisme
intelligent, on reprenne une partie des travaux de Janpier Dutrieux et de
moi-même – comme les
« droits à importer - , plutôt que de se contenter d’utiliser de
simples techniques, relativement archaïques, comme des droits de douane, qui
peuvent facilement donner lieu à des mesures de rétorsion.
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