Quelles priorités pour que re-vive la France?
A qui profitent réellement la mondialisation et le libre-échange débridé, et quels sont les priorités pour que la France n’en soit pas une victime implicite, sinon consentante.
Bruno Lemaire, économiste, ancien doyen associé d'HEC
Même si un véritable débat n’a
jamais vraiment eu lieu, que ce soit sur la place publique, dans les médias ou
au sein des partis politiques, le fantôme de l’euro et/ou de son éventuelle sortie a hanté les
esprits depuis des années, que ce soit parmi les tenants de l’U.E. ou parmi ses
adversaires.
Que ce soit voulu, ou non, et que
l’euro soit un véritable boulet pour l’économie française, ou un désagrément
plus ou moins nocif, voire même un « avantage » comme l’ont prétendu
ses créateurs dans les années 1990, lors du référendum de Maastricht, il semble
bien que les
débats, aussi tronqués ont-ils été, se sont trompé de cible. L’arbre
de l’euro et de sa sortie éventuelle a caché une forêt bien plus fondamentale,
à savoir les méfaits d’un « laissez fairisme » critiqué en son temps par
Maurice Allais.
Pour le montrer succinctement,
nous allons prendre deux exemples, celui des échanges commerciaux que nous
avons avec la Chine, ainsi que celui des échanges effectués entre la France et
les principaux pays exportateurs de pétrole ou de gaz qui n’appartiennent pas à
l’Union Européenne, à savoir la Norvège, le Nigeria, l’Arabie Saoudite, le
Kazakhstan, le Nigeria, la Russie, l’Azerbaïdjan, l’Angola, l’Algérie et le
Qatar. (Petite curiosité: l'Algérie et le Qatar sont les seuls pays 'pétroliers' avec lesquels nous ayons un excédent commercial!)
Rappelons tout d’abord que
d’après les chiffres officiels des Douanes françaises, arrêtés fin novembre
2017, le déficit commercial de la France avoisinera, en 2017, 50 milliards
d’euros, et que sur ce déficit commercial, plus de 30 milliards sont liés à nos échanges déficitaires avec la seule
Chine.
Plusieurs économistes, pas tous
du Front National, ont fait remarquer que le déficit commercial de la France
n’existait pas avant les années 2000-2003, et que l’instauration de l’euro
n’était sans doute pas une simple coïncidence : j’ai moi-même défendu
cette thèse, défendue aussi avec conviction et talent par un éminent économiste
classé à gauche, le professeur Sapir. Mais cette simple constatation a sans
doute manqué l’essentiel, à savoir le développement depuis 20 ans des accords de « libre
échange ».
Comment peut-on croire en effet que
60% du déficit de la France serait dû à une mauvaise valorisation de l’euro, ou
même au fait qu’il nous soit imposé par l’U.E. en tant que monnaie unique.
Il
est pourtant clair que notre déficit vis-à-vis de la Chine a peu à voir avec la
valeur de l'€ mais presque tout avec une concurrence
déloyale, qui concerne les conditions environnementales, fiscales, sociales
– et financières – des travailleurs chinois : s’il en était autrement les
fluctuations de l’euro vis-à-vis du dollar, monnaie internationale de
référence, auraient eu bien davantage d’impact.
Si notre solde électronique est
déficitaire avec la Chine de 14 milliards, si notre solde textile est
déficitaire de 9,5 milliards vis-à-vis de la même Chine, à qui fera-t-on
croire, même à nos compatriotes matraqués émission après émission par les
médias officiels, soit que l’euro en est essentiellement responsable soit, plus encore, que
le libre échange total
conduit à une mondialisation heureuse ?
On pourrait certes soutenir que
c’est notre manque de matières premières, en particulier dans les domaines
énergétiques, qui est la cause de notre déficit, sachant que nous importons
plus de 60 milliards en gaz et en électricité. Mais cela n’a rien à voir, là
encore, avec nos échanges vis-à-vis de la Chine, ce n’est ni le gaz, ni le
pétrole que nous vend « l’empire du Milieu ».
Sur ce dernier point d’ailleurs,
celui des échanges avec des exportateurs de pétrole ou de gaz, notons qu’en
dépit des 60 milliards d’euros que nous coûtent nos importations énergétiques,
nous arrivons à équilibrer
ces échanges par nos propres exportations, le solde de notre balance
commerciale déficitaire, soit 20 milliards, étant essentiellement dû à un
déficit de l’ordre de 16 milliards avec l’Allemagne, et de 4 milliards avec la
Hollande (essentiellement dus à ses exportations de produits chimiques).
Non, il serait grand temps que
l’on comprenne que le libre échange ne fonctionne que dans certains cas, dans
une confrontation honnête avec des pays ayant un degré comparable de développement,
tant social qu’humain, et qu’il faut, dans le cas contraire, utiliser d’autres
procédés, à savoir ici l’arme
du protectionnisme intelligent,
ciblé en fonction des pays et des secteurs à protéger.
La fameuse théorie du commerce
international heureux, à la mode Ricardo, a montré ses limites depuis deux
siècles, et plus particulièrement depuis qu’il n’y a plus vraiment de
frontières, au moins pour les firmes multinationales et pour les circuits
financiers, qui se moquent
bien de la nationalité ou même de la souveraineté des consommateurs, et plus
encore sans doute de leurs collaborateurs – les fameux 'travailleuses et
travailleurs' d’Arlette Laguillier – dès lors qu’ils peuvent tirer profit de tel
ou tel investissement ou de telle ou telle délocalisation.
Ce n’est qu’en protégeant nos PME,
nos artisans, nos agriculteurs, nos ouvriers
contre une concurrence qui n’est ni loyale, ni équilibrée, ni transparente - et qui ne profite qu'aux plus forts, c'est à dire à ceux qui n'ont aucun scrupule à exploiter les plus faibles - , que nous
pourrons défendre réellement le bien commun, à savoir les intérêts du plus
grand nombre, et pas seulement ceux d’une petite minorité nomade, l’hyper
classe dont se gargarisent certains médias. C'est d'ailleurs fort justement la position du Front National. La question de l’euro, aussi
intéressante puisse-t-elle être, viendra bien après, et n’aura pas de sens si
nous ne retrouvons pas nos frontières, économiques, sociales, politiques.
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